Financer le foncier

Pour un conservatoire national du foncier social

En France, le système de financement du logement social est à bout de souffle et les résultats de la production 2020 ne font que confirmer une tendance ancienne également caractérisée par la baisse de qualité des logements produits. Pourtant, il y a plus que jamais besoin de logements à loyers abordables.

Le Conseil de l’Europe s’en est aperçu. Voir la déclaration du Commissaire européen aux Droits de l’Homme du 23-01-2020 : « Le droit au logement abordable, un devoir négligé en Europe ». Voir la délibération du Parlement européen du 21-01-01 : « Le Parlement européen demande aux pays de l’UE d’agir afin de garantir des logements abordables pour tous et d’investir d’avantage dans des logements décents. Extraits : «… Le manque de logements abordables en Europe, qui est de plus en plus souvent à la une de l’actualité, se fait aussi de plus en plus cruellement sentir et prive un nombre croissant de personnes d’un logement stable, voire de tout logement. À moins que les gouvernements européens ne prennent des mesures radicales pour inverser la tendance, cette crise continuera à s’intensifier et aggravera encore les inégalités, l’exclusion et la ségrégation... »

Le système français de financement, dans l’incapacité de servir la demande de logements locatifs a bon marché, car la production n’atteint pas les 100 000 logements par an, a été fléché vers des catégories de plus en plus restreintes de la population, ce qui nuit à la mixité sociale, crée des risques de ghettos et en fait plus un système de financement de l’urgence sociale qu’un système de création de logements à loyers abordables dont la clientèle est beaucoup plus vaste (cf la question des règles et commissions d’attribution à revoir).

Une politique visant à créer une quantité augmentée de logements locatifs à loyers abordables dans les zones tendues (100 000, 120 000 par an ? ), de manière à se rapprocher de la demande - on estime qu’il y a un retard de stock de 600 / 800 000 logements - devrait se faire sur des bases renouvelées, les logiques libérales ayant conduit à une régression inédite (cf les textes européens cités).

Il s’agirait d’une politique à long terme, sans doute au moins 10/12 ans d’un effort continu qui incidemment produirait une masse importante d’emplois et effets d’entrainement.

Pour être autre chose qu’un jeu d’annonces, une telle politique nécessite le recours a des outils de programmation puissants intégrés aux réglementations d’urbanisme et dépassant les simples logiques communales.

Pour un conservatoire national du foncier social :

Pour énoncer simplement les choses, disons qu’à l’occasion des 35 années passées dans une SEM lié à la Ville de Paris, zone tendue par excellence , votre serviteur a eu l’occasion de pratiquer usuellement la bonification foncière.

Pour monter une opération locative sociale, la Ville, souvent après préemption, baillait à 50 ans à l’organisme futur constructeur gestionnaire pour + - 500 000 euros un foncier acheté, disons à 1 000 000 d’euros.

La Ville de Paris s’est ainsi constituée au fil du temps un stock de « nues propriétés », les fonciers baillés lui revenant à terme. La Ville est suffisamment riche pour ne pas avoir besoin de refinancer le cout de la « nue propriété » autrement qu’au moyen de prêts ; mais quid des collectivités et organismes qui sont moins riches ?

Un stock de fonciers à terme a forcément une valeur et devrait pouvoir être refinancé. On pourrait imaginer la création d’une sorte de « conservatoire national du foncier social », organisme dont les fonctions seraient décentralisées pour coller au terrain.

Ainsi une collectivité ou/et un organisme a vocation sociale ayant a acquérir un foncier de disons 1 millions d’euros pourrait ne l’acheter que pour 50 ans, pour disons 500 000 euros, le reste de la somme étant acquise par ce conservatoire du foncier social. Au bout de 50 années, la collectivité ou l’organisme aurait un droit de préemption en vue de la réacquisition du foncier, ou alors le bien reviendrait au dit conservatoire qui pourrait le recéder ou autre …

On pourrait également considérer que cette possibilité serait ouverte non seulement au moment de l’acquisition du bien pour réaliser une opération de construction ou réhabilitation locative sociale mais également sous certaines conditions, aux organismes et collectivités qui ont déjà des immeubles à vocation locative sociale et qui manquent de fonds pour investir à vocation locative sociale. Ainsi, en vendant des « nue propriétés » foncières, support de certains biens immobilier, ils retrouveraient des capacités d’investissement pour d’autres opérations. Cette possibilité offerte de vente du foncier social a terme serait sans doute plus judicieuse que la recherche de la vente d’une partie du patrimoine social, lequel est nécessaire dans les zones tendues ; on sait aussi que de telles ventes peuvent conduire à des copropriétés qui finissent dégradées.

Sans résoudre complétement la question de la production de logements abordable (il faut également des prêts bonifiés, des subventions et la volonté des collectivités), on voit bien qu’un tel instrument, permettant d’ ouvrir ou ne pas ouvrir les possibilités de cession des nues propriétés sociales, suivant la conjoncture immobilière, suivant qu’on est en zones tendues ou pas … constituerait un instrument très efficace d’incitation et régulation. Il suppose qu’on travaille en bonne harmonie avec le secteur HLM qui possède une grande quantité de fonciers à usage social.

Pour donner sa pleine puissance à un tel organisme, on pourrait également imaginer de faire appel à quelques banquiers imaginatifs (il y a beaucoup de banquiers imaginatifs ; cf les subprimes), organiser l’ouverture d’ une partie du capital de ce conservatoire du foncier social et créer un produit d’investissement « pépère » pour les investisseurs… et même inciter amicalement quelques institutionnels assureurs et autres à en prendre un peu...

Ce qui vient d’être décrit est une esquisse Je ne sais pas si un tel conservatoire devrait être régional, national, ou même européen ; je ne sais pas quelle forme juridique exacte cet instrument devrait prendre : société foncière ? organisme financier ? mais ce que je sais, c’est que :

« … Face à l’augmentation de la demande, les États se sont contentés jusqu’ici de se défausser du problème sur les collectivités locales, sur le secteur privé, sur les sociétés de logement et sur les organisations à but non lucratif. En 2017, le montant total des dépenses consacrées par les gouvernements au logement social ne représentait que 0,66 % du PIB européen et continuait à baisser. Dans nombre de pays, l’accent a été mis sur l’augmentation des allocations de logement. Nous avons besoin d’idées neuves dans ce domaine … »

Dundja Mijatovic ; Commissaire européen aux Droits de l’Homme.

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Le logement abordable vu par le conseil de l’Europe