Le logement abordable et la question du foncier

20190707_142547.jpg

Où en est la production ? En France, un stock manquant de logements locatifs à prix abordable régulièrement évoqué, jamais résorbé.

Extraits de l’étude « Faut il construire plus de logements.  2019 » , Jean Bosvieux, ancien directeur de l’ANIL

« Depuis de nombreuses années, le marché immobilier est en crise et les mises en chantier sont

insuffisantes. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande s’est engagé sur la construction

de 500 000 logements par an. ». Par ailleurs, une évaluation de la demande potentielle en logements à l’horizon 2030, publiée en 2012 par le commissariat général au développement durable (CGDD), chiffre à 300 000 à 350 000 le nombre de logements à construire par an.

Cette évaluation « technique » a été jugée insuffisante par les politiques, puisque l’objectif de

construction était fixé bien au-delà. Avant François Hollande, Nicolas Sarkozy avait souhaité en 2007 que l’on parvienne en France « à un rythme de construction d’environ 500 000 logements neufs par an »



En 2007, dans un article de la revue Constructif , Michel Mouillart, professeur d’économie estimait qu’ « En franchissant le seuil des 400 000 mises en chantier, le niveau de la construction était redevenu suffisant dès 2005 », mais que compte tenu du retard à rattraper, qu’il évalue à 850 000 unités, « Il va falloir construire beaucoup pendant de nombreuses années, compte tenu des besoins attendus : il faudra mettre en chantier de l'ordre de 425 000 à 450 000 logements par an si on ambitionne de réduire le déficit, donc de résorber les situations de non-logement ou d'hébergement et de mettre en œuvre le Dalo en quinze ans ; et de l'ordre de 500 000 logements par an si on ramène le délai à sept ans, retrouvant ici l'objectif affiché récemment par le gouvernement ».

Marie-Noëlle Lienemann, ex-ministre déléguée au logement, précisait : » Construire là où les besoins sont patents,construire prioritairement du logement social, tant en locatif qu'en accession à la propriété. Nous devons construire près de 500 000 logements par an, dont près de la moitié en logements sociaux au sens large. ».

L’actuel président de la République, dans son programme électoral,a affirmé la nécessité de créer « un choc d’offre », tout en prenant certaines distances avec l’objectif de 500 000 logements : « Notre objectif est de créer une offre de logements abordables, là où se situent les besoins, notamment en matière d'emploi, répondant à la diversité de la demande (sociale, intermédiaire ou privée) et offrant aux Français des logements compatibles avec leur pouvoir d'achat. Le principal moteur permettant de faire baisser les prix est la construction massive de nouveaux logements. Nous nous fixons depuis trop longtemps de grands objectifs (« 500 000 constructions par an ») sans nous donner les moyens de les atteindre ». A ce jour , force est de constater que la production est tryès inférieure aux nécessités.



Extraits d’une étude produite en janvier 2019 au Parlement Européen à Strasbourg dans le cadre d’un colloque traitant du « logement abordable ».

« La période 2008/2018 a été marquée par un déclin massif des investissements dans le domaine du logement abordable, amenant l’Europe a une situation de précrise ; ceci à partir de la crise financière de 2008 et tout au long des années qui ont suivi. Il en est résulté une hausse marquée et continue tant des loyers que du coût des logements et maisons alors que les salaires augmentaient peu ».

En effet, on relève dans cette étude que les investissements dans les « infrastructures sociales » ont décru de 20 % entre 2009 et 2018. Il est estimé que le manque d’investissement s’est évalué à environ 57 milliards d’euros par an sur la période et qu’il faudrait un plan de 150 milliards d’euros sur 10 ans pour compenser ce sous investissement.

L’étude indique ensuite que par conséquence, environ 82 millions d’européens se trouvent aujourd’hui désolvabilisés à cause d’un coût du logement devenu trop important ; cette surcharge, exprimée en pourcentage du revenu brut, montre des taux d’effort allant de 25 à 40 % alors que le taux d’effort normal en matière de logement locatif est considéré aux environs de 25 %. Ce phénoméne touche aussi bien les classes moyennes que les classes populaires. Les jeunes et nouveaux arrivants dans les grandes agglomération sont tout particulièrement concernés. Un rapport de la Banque mondiale considère que la question du logement est au cœur de fractures économiques de plus en plus grandes dans l’Union Européenne et constitue une cause notable de l’érosion de sa cohésion économique sociale et territoriale.

La production de logements en France :

Nombre de logements neufs commencés, de toutes natures (source SDES Citadel)

2005 464900

2006 493800

2007 488900

2008 398400

2009 345700

2010 413200

2011 430200

2012 382300

2013 357600

2014 336500

2015 342900

2016 377200

2017 428600

2018 412500

2019 409400

L’objectif de production de 500 000 logements neufs par an n’a jamais été tenu sauf peut être en 2006.

Quand à la moitié de production en logements sociaux au sens large évoquée par Marie Noelle Lienemann, elle est restée un vœux pieux alors qu’une étude de 2013 montrait que 55 % des ménages n’habitant pas en logement social étaient éligibles à un logement social de type PLUS (loyer de niveau intermédiaire du barême locatif social ; PLI PLU PLAI).

Les logements sociaux :

Depuis les années 2 000, la France a mis en service de l’ordre de 85 000 logements sociaux les bonnes années, plutôt moins de 80 000 les autres années, ce qui pourrait paraître sommes toutes honorable s’il n’y avait ce fameux « retard » de l’ordre de 850 00 logements sociaux évoqué par Michel Mouillot dés 2005 ; le tout amplifié par la crise de 2008 (cf étude européenne) ; le tout souligné également par les rapports de la Fondation Abbé Pierre dont celui sur la situation du mal logement en 2019.

« Pour 2019, le rapport fait état de 3,953 millions de mal-logés : 902.000 personnes privées de logement personnel (dont 143.000 sans domicile et 643.000 en hébergement "contraint" chez des tiers) et 2,819 millions "vivant dans des conditions de logement très difficiles" (dont 934.000 dans une situation de surpeuplement accentué).
On pourra noter également le dénombrement du nombre de demandeurs de logements sociaux pour la seule Ile de France : De l’ordre 720 000 demandeurs de logements sociaux en 2019, de l’ordre de 400 000 en 2010 (+ - 2 millions de demandeurs pour la France).

En conclusion, une production non négligeable mais impropre à résorber un manque chronique ; une production insuffisamment orientée vers le logements abordable.

Parmi les clés pour construire plus : Créer du foncier disponible.

On peut dire sans peur de se tromper que le problème numéro 1 en matière de construction sociale ou autre, c’est le foncier ; et les zones tendues sont bien souvent tendues seulement parceque les collectivités organisent ou laissent se faire depuis des années la raréfaction foncière…

Quand on entend dire que l’aide au logement contribue à la hausse des loyers, on reste pétrifié par ce qui montre une méconnaissance certaine de la formation des prix de la construction.

Car ce qui contribue à la hausse des coûts et donc des loyers, c’est avant tout, premièrement, fondamentalement, le cadrage/blocage du foncier que les collectivités locales organisent depuis des décennies sur les territoires qu’elles co-administrent avec les services d’Etat, lesquels n’ont pas su ou pas voulu faire passer les obligations adéquates permettant une disponibilité foncière, dans les POS puis les PLU.

Ceci est particulièrement vrai dans les zones tendues.

Ne serait-ce qu’en région parisienne, tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a insuffisance de logements locatifs à bon marché mais quand il s’agit d’en construire, on voit ressortir le bon vieux « chez les autres et pas chez moi ».

Ce qui montre en passant que les politiques libérales– mais pas que - ne sont pas si libérales que ça : On bloque le marché et donc on crée la pénurie, la hausse des coûts, l’éloignement des constructions sociales, l’augmentation des distances habitat / travail. Et ceci… sur 30ans… Pas étonnant que les conséquences soient lourdes.

En termes de foncier, nous ne sommes pas sous un régime de marché libre mais sous un régime « d’octroi ». Cette situation rappelle plus les anciennes oligarchies de Toscane que n’importe quel libéralisme contemporain.

Quant aux secteurs d’aménagement, très nécessaires, ils ne produisent du foncier qu’à terme.

En Suisse, depuis au moins 40 ans, la loi oblige chaque collectivité à inscrire à son plan d’occupation des sols une superficie minimale de zones à bâtir disponibles à la construction ; y compris des terrains privés. Et une loi fédérale prévoit le dispositif permettant d’assurer la disponibilité des terrains.  

Il est vrai que si le logement social n’était pas devenu une espèce de seringue à mono clientèle très sociale, il conduirait moins à ces blocages. Il faudrait que le logement à bon marché redevienne un logement beaucoup plus ouvert, non seulement aux plus démunis mais aussi à ceux dont le rôle important dans la cité nécessite plus de proximité : infirmières … L’hyper spécialisation ne le sert pas et même, elle effraie. Le concept plus large de logement abordable, employé notamment par l’Europe nous semble mieux approprié.

Il y avait dans le passé, mais ceci n’est qu’un exemple, le système du 1% employeurs qui permettait de réserver dans les constructions sociales, des contingents de logements notables (parfois 25%) destinés à des salariés d’entreprises situées dans un secteur proche. Mais l’Etat, toujours en recherche d’argent a quasiment réduit le système à peau de chagrin. Le 1% avait un défaut, les personnes logées à ce titre du 1 % étaient pratiquement logées à vie, ce qui nuisait à son efficacité, mais une modification de la loi facilitant (avec des délais) la récupération du logement par l’employeur, après le départ d’un salarié, ne serait pas d’une grande difficulté.

Il y a certainement d’autres pistes qui permettraient d’assurer une certaine diversité à ce que je préfèrerais appeler le secteur du logement abordable plutôt que le logement social.

Financer le foncier : Il était une fois… la foncière solidaire !

Le système actuel de financement du logement social est à bout de souffle. Il y a quelques années déjà, la Ville de Paris consacrait autant de subventions et aides diverses au logement social parisien que l’Etat pour le reste de la France.

Dans l’incapacité de servir la demande populaire, car la production n’atteint pas les 100 000 logements par an, le système actuel de financement a été fléché vers des catégories de plus en plus restreintes de la population, ce qui nuit à la mixité sociale, crée des risques de ghettos et en fait plus un système de financement de l’urgence sociale qu’un système de création de logements à bon marché, dont la clientèle est beaucoup plus vaste.

Il est donc certain qu’une politique visant à créer une quantité augmentée de logements à bon marché (100 000, 120 000 150 000 par an ? ) de manière à se rapprocher de la demande devrait se faire sur des bases totalement renouvelées.

Il s’agirait bien sûr d’une politique à long terme (sans doute au moins 10 ans d’un effort continu qui incidemment produirait une masse importante d’emplois et un effet d’entrainement) et on ne voit pas l’État être en capacité de financer ces productions sur la base du système de financement actuel.

Pour être autre chose qu’un jeu d’annonces à usage médiatique, une telle politique nécessite le retour d’outils de programmation s’inscrivant dans des réglementations d’urbanisme et dépassant les simples logiques communales.

Une telle politique nécessite également des outils puissants visant à la production d’un foncier utilisable pour la construction.

Il se trouve que le gouvernement Hollande avait mis sur pieds un organisme dénommé « La Foncière Solidaire » société anonyme mandatée par l’Etat pour réaliser un Service Economique General c’est-à-dire mobiliser partout ou cela s’avérerait nécessaire du foncier public et privé pour faciliter et accélérer l’émergence de programmes de logements répondant au besoin des citoyens, essentiellement des logements à bon marché.

Doté d’un capital initial de 750 millions d’euros, cet organisme qui aurait du voir sa puissance doublée par l’apport en nature de biens de l’Etat ou de collectivités a vu dès avant sa création cette deuxième partie de son capital empéchée … par Bercy.

Depuis le changement de gouvernement, la vocation même de cet organisme a été modifiée. puisqu’elle ne devrait principalement s’occuper que … de la vente d’une partie du parc HLM.

Or c’est principalement sur la production d’un foncier à cout réduit que pourra se mener à grande échelle une politique du logement à bon marché.

C’est à dire que des « Foncières Solidaires », il devrait y en avoir une par Région ( le bon échelon ?) puissamment étayées, sans doute par la CDC ( ?).

En outre, elles devraient avoir la puissance financière nécessaire pour pouvoir acquérir et mettre à disposition des terrains à construire, essentiellement sous la forme de baux emphytéotiques (50 ans ? 60 ans ?) et non pas fonctionner comme beaucoup de foncières actuelles qui doivent assurer leur équilibre financier sur une opération ou au mieux sur un panier d’opérations.

Elles devraient pouvoir se constituer au fil du temps un stock de nues propriétés ( c à d la propriété dont elles continuent à être propriétaires sur la partie non baillée, par exemple de 51 ans à 99 ans) ; nues propriétés qu’elles devraient être en mesure de se faire refinancer.

Cela permettrait lorsque cela s’avère nécessaire de proposer aux maitres d’ouvrage sociaux des baux à loyer réduits (éventuellement même des baux à loyers annuels, ce qui réduirait drastiquement la part du foncier dans les bilans de construction.

Cela conduirait également à long terme à la constitution dans le patrimoine de ces organismes de biens qu’autrefois, dans un contexte rural, on appelait des « communaux » c’est-à-dire des emplacements durablement affectés à des activités collectives.


Transformer les nues propriétés des fonciers baillés à long terme en produits d’investissement :

La Ville de Paris pour laquelle votre serviteur a œuvré pendant + - 35 années en vue de la construction de logements sociaux s’est constituée depuis au moins 50 années un important stock de nues propriétés.

La plupart du temps, le montage des opérations de construction se passait comme suit :

- la Ville achète sur expertise, préemption ou autre, un foncier à disons … 100 euros,

- elle rétrocède à la société constructrice/gestionnaire le foncier pour 50 euros, lesquels constituent le loyer capitalisé d’un bail emphytéotique de + - 50 années,

- elle garde à sa charge 50 euros qui ont pour contrepartie la nue propriété sur les 50 premières années et la pleine propriété au-delà de 50 ans.

Si on considère que la Ville de Paris a ou maitrise aujourd’hui à travers ses sociétés un parc de + - 245 000 logements sociaux SRU (21.1% du parc parisien, chiffres de 2018), si l’on considère que la valeur actuelle du foncier par logement est de + - 5000 euros, cela signifie que les acquisitions foncières, en valeur actuelle représentent de l’ordre de 1 225 000 000 euros (1 milliard et 225 millions d’euros) et que la part foncière gardée à charge en contrepartie de la nue propriété et de la propriété au-delà de 50 ans des baux, représente + - 612.5 millions d’euros. Ce coût, les maires successifs de la Ville de Paris l’ont assumé et supporté parce que la Ville en a la capacité financière.

Cela vaut peut être pour quelques de villes et organismes en France mais quid des autres ?

S’il était possible de créer des foncières dédiées au logement abordable ou habiliter des existantes et que l’on trouvait un moyen de refinancer la part couvrant la nue propriété et la pleine propriété au-delà de 50 ans, alors, la capacité de création de logements serait grandement facilitée et des modulations beaucoup plus subtiles pourraient être effectuées en matière de baux. Il serait possible aux organismes de se décharger d’une part de leur stocks de fonciers à terme moyennant du numéraire. Numéraire dont l’usage possible devrait être fléché quasi exclusivement vers l’investissement dédié à de nouveaux logements (ou réhabilitations) à loyers abordables. Cela permettrait aussi aux collectivités et organismes qui n’ont pas les moyens de financer des stocks de fonciers à terme, d’entreprendre des opérations de construction de logements abordables, moyennant un petit intérêt à verser sur les fonciers à terme.

Ces cessions des fonciers sociaux à terme seraient bien entendu cadrées par la loi afin qu’ils ne puissent être dessaisis de leur vocation sociale sauf procédures très particulières liées aux évolutions urbaines. Il pourrait y compris y avoir des clauses de rachat.

Pour ce faire, un moyen consisterait à permettre à ces foncières d’accéder aux marchés financiers en créant un produit modestement rémunérateur mais sûr, qui aurait pour garantie la valeur des fonciers accumulés. Les foncières paieraient un petit intérêt annuel et une législation nouvelle ferait que les gestionnaires d’assurance vie seraient tenus d’ insérer une petite quotité de ces produits « fonciers abordables » dans chaque portefeuille.

L’encours du livret A, livret qui contribue déjà en partie au financement du logements social, était en 2019 d’environ 302 milliards d’euros.

L’encours de l’assurance-vie était d’environ 1 million et 788 milliards d’euros.

Si à partir des fonciers sociaux à terme logés dans des foncières, il était possible de créer un produit d’investissement « pépère » (pas un holdup comme ce fut le cas pour Action Logement) et qu’une loi obligeait à ce que dans chaque placement d’assurance vie, il y ait au moins 5% de placements dans des foncières habilitées, cela créerait une enveloppe possible de + - 90 milliards d’euros à terme.

Ainsi, en faisant appel au secteur bancaire et financier, en faisant appel aussi aux « institutionnels », en faisant de ces stocks des produits d’investissement, on augmenterait considérablement la capacité d’action des foncières, ce qui permettrait d’entreprendre enfin la mise en place d’une grande politique de création, et réhabilitation de logements à loyers abordables, de créer sur plusieurs années au moins une partie de ce stock manquant de 600 000/ 800 000 logements à loyers abordable, stock évoqué depuis plus de 20 ans (cf début de document), stock jamais construit.

Il y a longtemps que les produits de placements sont constitués par des paniers (des millefeuilles) de valeurs. Par exemple, en ce moment, les paniers de valeurs concernant l’intelligence artificielle sont à la mode et également les paniers de valeurs éthiques. Il y a quelques années des banquiers habiles et peu scrupuleux ont même glissé dans des paniers de valeurs, les fameuses subprimes, valeurs se rapportant à des prêts immobiliers à risques, qu’ils ont planquées au milieu d’autres valeurs et refilées à des investisseurs.

Refinancer en produit d’investissement des stock de nues propriétés, c’est bien autre chose, cela pourrait donner beaucoup plus de souplesse et de variété à l’architecture des baux sur le foncier et cela pourrait constituer des produits d’investissement peut être pas des plus rémunérateurs mais aisé à insérer dans des millefeuilles du type « investissement éthiques » ou autres.

Cela nécessite un important travail au plan juridique et financier. Mais en France, on adore créer des lois et réglementations.

Et puis, cela permettrait à un gouvernement à vocation sociale, d’avoir enfin à proposer quelque chose de tangible « au peuple qui demande du pain et du lait ».

Précédent
Précédent

Les ordonnances de 45 et la constitution de 1946

Suivant
Suivant

Construire