Replacer les architectes et les urbaniste en tant qu’institutions dans la filière de décisions conduisant à l’acte de bâtir (version augmentée)
Par delà la question de la production de logements à loyers abordables et de manière bien plus générale se pose la question de la place des architectes et des urbanistes dans la filière qui conduit à la production du bâti, filière largement trustée par les lobbyistes de tous poils : promoteurs, constructeurs, réalisateurs d’ensembles pavillonnaires et élus divers autoqualifiés.
Sous les coups de boutoirs libéraux (et autres) les architectes ont progressivement été évincés ou du moins placés à des niveaux subalternes dans les processus de décision qui conduisent à l’acte de bâtir.
Pas dans les grandes villes, pas les grands architectes, mais les quelques beaux arbres qui peuplent les villes centre cachent une forêt d’incohérences, d’incompétences et d’inculture.
Pour le vérifier, prenez tout simplement un véhicule, faites un tour des banlieues et des territoires péri-urbains.
Ailleurs n’est pas forcément comme ici : A l’occasion d’un projet en Espagne, votre serviteur a eu la surprise de découvrir qu’avant même que soit déposée la demande de permis, un dossier détaillé devait être produit devant le « Colegio de Arquitectos ». En parallèle et depuis des années, il a assisté aux diminutions de personnels et pertes de compétence dans les ex-DDE, liées aux retraits de l’État.
Dans les municipalités françaises de grandes tailles, dans les secteurs d’aménagement, il est à possible d’avoir des services d’urbanisme et d’architecture ainsi que des instruments opérationnels suffisamment structurés et qualifiés pour assurer à tous niveaux une compétence affirmée ; tout particulièrement nécessaire dans une période ou il sera question de réorganiser mais aussi de faire muter, de créer la ville basse consommation, la ville durable.
En même temps …considérant au fil des années les multiples, renouvelées et navrantes des bévues urbanistiques et architecturales des « périphéries », mais pas que…est revenue la constatation suivante : Lorsqu’avec l’équipe « De Portzamparc », nous avons mené les multiples concertations nécessaires à la réhabilitation du quartier Nationale (75013, 600 logements réhabilités plus constructions neuves), nous avons constaté qu’environ un locataire sur 15 ou 20 voyait aussi bien l’espace futur que l’architecte en face de lui.
Il doit y avoir une capacité à la vision dans l’espace dont sont dotés certains et pas d’autres (tout comme Mozart et les autres avaient un cerveau fait pour la musique). Alors, disons le tout net, il n’y a pas de raisons qu’il y ait plus d’un fonctionnaire ou plus d’un représentant de collectivité locale ou plus … d’un maitre d’ouvrage ??... sur 15 ou sur 20 qui ait cette vision. Alors, dans un monde idéal, l’architecture serait d’abord « dépiautée » par ceux qui la comprennent et ensuite, viendraient les décisions institutionnelles.
S’agissant des programmation générales et des interventions en ZAC et autres entités ad hoc pour des réaménagements d’envergure, on voit bien que si elles sont adossées à des structures d’importance comme cela est possible dans de grandes villes, elles sont à même, du moins en principe, de créer un urbanisme de qualité. Dans les zac de la Ville de Paris, zac Seine Rive Gauche, zac Champerret ou autres, aucun promoteur public ou privé n’a fait ce qu’il voulait en matière d’urbanisme et d’architecture. Tout a été travaillé à partir de concours et workshops, le tout en cohérence avec des plans plus généraux concernant l’abord environnant et la Ville.
Donc de grandes structures, pour avoir les moyens de se doter en quantité et qualité, de professionnels de l’Architecture et de l’Urbanisme. A ce propos, énonçons la règle cruelle qui s’applique aux architectes, règle comparable à celle concernant les violonistes classiques : Il y a ceux qui sont admis à jouer dans le grand philharmonique… Et ceux qui doivent se contenter des orchestres de chambre. Eh bien, pour faire quelque chose, il faudra beaucoup des deux.
En effet, s’agissant de l’architecture « au jour le jour », tout aussi importante et même d’une importance fondamentale par exemple quand il s’agit de recoudre et faire la Ville dans son tissu courant et évolutif, les architectes intervenant dans le périmètre parisien ont eu à faire aux architectes voyers de la Ville de Paris, souvent un ou deux par arrondissement, et ces personnes, très compétentes, avaient l’art de faire que les immeubles soient « aimables » avec la rue « aimables » avec les immeubles voisins.
Alors, pourquoi pas également un recours à un système à base d’architectes voyers. Affectés par secteurs de + - 100 00 habitants, avec une rotation régulière et sans doute au préalable une formation particulière, ils seraient partie d’un outil de création et de contrôle doté de réelles compétences, apte à gérer l’architecture du quotidien (Quelle collectivité de rattachement ?).
Ou alors, au niveau de collectivité adéquat, des Collèges des Architectes ( des CAUE augmentés ?) organismes dotés d’architectes ayant déjà une carrière derrière eux. Ils pourraient par exemple travailler sous contrats de mission renouvelés tous les 3 ou 5 ans, lesquel Collèges seraient amené à donner un avis officiel et de poids, sur chaque PC en instruction. Cela serait de nature à augmenter considérablement le niveau d’architecture. A condition bien sur que la décision de cette instance ait un poids réel dans le processus d’instruction des PC.
Cela permettrait peut être de commencer à travailler autrement. Et notamment, de faire la critique de ce qu’on produit sur le territoire et en particulier dans les périphéries et les territoires ruraux les morphotypes d’architecture régionale qui ont guidé pendant 50 ans la production des petits collectifs, des habitats pavillonnaires individuels et groupés (le pavillon « Ile de France » ; le pavillon « Provence » …). Prétendant se référer, de manière hypocrite aux canons régissant les maisons du passé (hypocrite parcequ’il n’est plus possible d’utiliser de manière massive les matériaux du terroir et les anciens procédés constructifs pour des raisons de coûts), réglementés aussi bien par des édiles dépassés que par des fonctionnaires trop « réglementationistes » ils ont conduit :
- à stériliser quasiment toute production architecturale originale,
- à inscrire sur le territoire la ségrégation et l’anonymation des couches populaires,
- à stériliser les capacités potentielles des artisans de la construction.
Aux États Unis, un pavillon à 150 000 dollars est réalisé par des pme qui ont acquis au fil du temps l’aptitude à personnaliser et à rendre « aimables » les constructions pavillonnaires (pas les mobile homes, mais le mobile home est un habitat individuel à 50 000 dollars. En France, ces réglementations ont été tellement destructrices que les pavillonneurs artisanaux ou un peu plus importants ne savent plus faire autre chose que ces pauvres décalcomanies et déclarent même, en parlant de ces réalisations, « faire du traditionnel ». La déclinaison la plus édulcorée et appauvrie de l’habitat populaire est devenue « du traditionnel ».
On aurait pu se dire que l’avènement de la construction durable serait l’occasion de faire éclater ces morphotypes. Eh bien non, on voit souvent construire en employant une structure bois et à la fin, on enveloppe ça vite fait bien fait dans de la morphologie « pavillon Ile de France », ou autre.
Tout ceci pour dire que tous ceux qui défendent l’architecture devraient se battre pour faire rétablir des compétences d’architecture tout d’abord et avec bien plus d’exigence pour le collectif mais aussi en matière de construction de maisons individuelles. Soit faire redescendre les compétences mais cela n’est pas possible lorsque que l’insuffisance de taille des communes ne leur permet pas d’avoir les compétences nécessaires, soit faire remonter l’instruction des permis de construire jusqu’à un niveau qui est à réinventer, possédant de la compétence et du jugement en matière d’architecture.
Derrière cette problématique qui est loin de passionner tout le monde se trouve la question du « Pour qui l’architecture ? ». Ou encore : un pays peut il se satisfaire de la multiplication des productions « acculturées » ou dit autrement cette situation ne dit elle pas que la place assignée au plus grand nombre par les seules lois du marché n’inclus ni la culture ni la créativité.